Objectifs d’apprentissage

À la fin de ce sujet, l’étudiante devrait être en mesure :

  • de décrire comment les facteurs distaux plus vastes façonnent l’utilisation d’opioïdes et y contribuent.
  • d’expliquer la définition de violence structurelle et sa relation avec les troubles liés à l’utilisation d’opioïdes.
  • de décrire les différents types de violence structurelle dans notre société.
  • de cibler les types de traumatisme pouvant avoir un impact sur l’utilisation d’opioïdes.

Concepts clés

  • Il existe des liens de causalité entre les troubles liés à l’utilisation de substances et divers facteurs sociétaux tels que la pauvreté, l’oppression systémique, les conditions de vie et de travail inférieures à la normale, et les disparités en matière de santé.
  • La violence structurelle, qui fait référence au déséquilibre de pouvoir, à un accès limité aux ressources et à l’oppression systématique, mène au refus de combler les besoins essentiels, comme l’obtention de soins de santé et de traitements contre les troubles liés à l’utilisation de substances.
  • Cette violence est dite structurelle parce qu’elle est incrustée dans l’organisation politique et économique de notre espace social; c’est une violence parce qu’elle cause préjudice à la personne sans pouvoir ni accès aux ressources, et qu’elle est souvent ancrée dans le racisme, le classisme, l’homophobie, le capacitisme et la transphobie, ou en présente certains traits.
  • La violence structurelle est aussi multigénérationnelle et normalisée par les personnes qui en sont victimes et par ceux qui l’exercent, y compris des fournisseurs de soins de santé et de services sociaux ainsi que des enseignants.
  • Ce genre d’oppression peut engendrer des expériences traumatisantes et les problèmes qui y sont associés.
  • L’impact de la violence structurelle ainsi que ses effets sur l’utilisation d’opioïdes sont parfois immédiats ou parfois ne se manifestent que dans un futur lointain.

Le colonialisme, les traumatismes et les troubles liés à l’utilisation de substances

Définition

Violence structurelle

L’expression violence structurelle a été inventée par Johan Galtung au cours des années 1960 pour décrire les structures sociales (économique, politique, juridique, religieuse et culturelle) qui empêchent certaines personnes, certains groupes et certaines collectivités de s’épanouir. Dans son usage général, le mot violence évoque souvent une image physique; selon Galtung, cependant, il désigne la « [Traduction] ... détérioration évitable des besoins humains fondamentaux ou [...] la dégradation de la vie humaine, qui réduit la capacité réelle d’une personne à satisfaire ses besoins en deçà de son potentiel habituel. » Galtung estime que la violence structurelle est souvent incrustée dans les « [Traduction] ... structures sociales omniprésentes [depuis longtemps], et normalisée par la stabilité des institutions et la récurrence des expériences ». Puisqu’elles semblent si banales par rapport à notre vision du monde, elles sont à peine visibles, mais engendrent des inégalités dans l’accès aux ressources, au pouvoir politique, à l’éducation, aux soins de santé et à la capacité juridique. La notion de violence structurelle est étroitement liée à celle d’injustice sociale ainsi qu’à des processus sociaux qui perpétuent l’oppression.

Les traumatismes engendrés par le colonialisme

L’héritage colonialiste s’est traduit par la suppression culturelle et linguistique des peuples des Premières Nations, ainsi que par des traumatismes intergénérationnels lourds de conséquences, encore subis de nos jours par bien des peuples autochtones. Ces traumatismes ont des effets importants sur la santé et le bien-être, particulièrement dans un contexte d’abus de substances. Les traumatismes engendrés par le colonialisme, le système de pensionnats, la « rafle des années 1960 » et le génocide culturel ont eu diverses répercussions négatives sur les communautés autochtones, y compris

  • des taux élevés de chômage et de pauvreté
  • des niveaux de scolarité inférieurs
  • des logements inadéquats
  • un nombre anormalement élevé d’enfants autochtones pris en charge par la protection de la jeunesse et
  • un accès restreint aux services de santé et aux services sociaux.

Des facteurs de protection ont été retirés ou endommagés en raison « de la perte de la langue et du lien avec la terre, des abus perpétrés dans les pensionnats, du racisme systémique, de la destruction de l’environnement et du détachement culturel, spirituel, émotionnel et mental » (Sullivan, 2013).

Remarque : Les fournisseurs de soins de santé et de services sociaux doivent absolument comprendre l’effet de ces déterminants de santé sur la présence de troubles liés à l’utilisation de substances, mais aussi la relation existant entre ces deux éléments, de sorte à éviter de reproduire l’oppression et jeter le blâme sur certains clients.

Les effets du colonialisme se font toujours sentir sur la santé des peuples autochtones, qui sont touchés de façon disproportionnée par l’utilisation d’opioïdes et les troubles liés à l’utilisation qui y sont associés. L’un des effets du racisme systémique et structurel sur cette population est un taux de mortalité plus élevé.

Evidence icon

Mortalité

  • Le taux de mortalité des Autochtones en Colombie-Britannique en 2017 était cinq fois plus élevé que celui des non-Autochtones (Régie de la santé des Premières Nations, 2017).

Surdose

  • « [Traduction] Même s’ils ne formaient que 2,6 % de la population, les peuples autochtones [représentaient] 10 % des décès par surdose. Les femmes autochtones risquent huit fois plus de subir une surdose non fatale et cinq fois plus de subir une surdose fatale que les femmes non autochtones. » (Lavalley et al., 2018).

L’utilisation de substances

  • Un sondage réalisé par le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations (2018) parmi les peuples autochtones vivant dans les communautés nordiques des Premières Nations décrivait l’utilisation d’opioïdes (morphine, méthadone, codéine) comme une forme de réaction à des siècles de colonialisme, à la pauvreté et le désinvestissement économique, aux abus perpétrés d’une génération à l’autre par les institutions religieuses, scolaires et sociales, aux soins de santé déficients ou inaccessibles, ainsi qu’au manque d’accès aux droits fondamentaux de la personne, comme l’eau potable et un logement abordable et sécuritaire (Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations, 2018).

Le racisme et les troubles liés à l’utilisation de substances

En 2012, le gouvernement fédéral conservateur adoptait la loi C-10 (Loi sur la sécurité des rues et des communautés) dans le cadre de sa stratégie de lutte contre le trafic de stupéfiants, qui ciblait disproportionnellement les communautés noires, et ce, même si de grands pans de la population blanche s’adonnaient aux drogues dans des proportions similaires (Khenti, 2014).

Le ciblage des communautés noires par les autorités policières a engendré une hausse considérable des emprisonnements de groupes racialisés (Khenti, 2014). « [Traduction] En 2010-2011, les prisonniers noirs représentaient 9 % de la population carcérale fédérale, alors que la population canadienne ne comptait que 2,5 % de Noirs. » (Khenti, 2014).

L’incarcération découlant du profilage racial des hommes noirs provoque une détérioration des relations familiales, des appuis et des communautés dans leur ensemble (U.S. Department of Health and Human Services, Office of Behavioral Health Equity, 2020).

Si la stéréotypie négative des populations noires par rapport au crime n’est appuyée par aucune preuve, ce stéréotype est pourtant perpétué par certains groupes et certaines structures sociales, notamment les systèmes législatifs et politiques.

  • Fordham (International Drug Policy Consortium, 2020) a constaté que la loi pénale au Canada continue autant de brimer disproportionnellement les communautés noires et autochtones qu’aux États-Unis, où les lois reflètent un certain racisme systémique.
  • Selon le Consortium, « [Traduction] ...les taux élevés d’arrestations et d’incarcérations dans ces communautés ne reflètent pas une prévalence accrue de l’utilisation de drogues, mais plutôt une concentration des autorités policières sur les communautés de couleur. »

Bien que la vidéo qui suit traite des États-Unis, elle fournit un récit chronologique de la manière dont la campagne de lutte contre le trafic des stupéfiants, instaurée en 1986, continue de cibler les communautés noires, autochtones et de couleur par l’entremise de politiques discriminatoires qui perpétuent l’appauvrissement de ces populations. La vidéo, narrée par Jay Z, est accessible ici :

L’enfance, les traumatismes intergénérationnels ou transgénérationnels et les troubles liés à l’utilisation de substances

Les enfants qui vivent un traumatisme vont souvent présenter des troubles liés à l’utilisation de substances une fois adolescents ou adultes.

« [Traduction] Les adultes indiquant avoir vécu au moins cinq types d’abus multipliaient par trois leur risque d’utiliser des analgésiques sur ordonnance et par cinq leur risque d’utiliser des substances par injection. »
(Quinn et al., 2016)

Un taux élevé d’utilisation de substances a été documenté chez les personnes issues de la communauté LGBTQ, ce qui peut être associé à la stigmatisation, la discrimination et la violence, ainsi qu’aux conséquences de ces actions sur la santé mentale (Marshal et al., 2008).

Les traumatismes vécus durant l’enfance sont aussi liés à la douleur chronique à l’âge adulte. Les adultes ayant vécu un traumatisme durant l’enfance sont plus enclins à signaler ultérieurement une douleur chronique et à recevoir un traitement en conséquence, ce qui augmente leur exposition aux opioïdes et leur risque de présenter des troubles liés à l’utilisation de substances (Association canadienne pour la santé mentale, 2018).

Définition

Traumatisme historique ou intergénérationnel
Le traumatisme historique ou intergénérationnel se définit comme « [Traduction] ...une accumulation de blessures émotionnelles et psychologiques tout au long d’une vie et d’une génération à l’autre » (Adams et Clarmont, 2016).

Adams et Clarmont (2016) ont découvert que :

  • En ce qui a trait aux peuples autochtones du Canada, le traumatisme intergénérationnel est ancré dans les injustices sociales et juridiques imposées sous forme de politiques racistes, colonialistes et génocidaires instaurées en vertu de la Loi sur les Indiens, comme :
    • le système des réserves indiennes,
    • le système des pensionnats indiens et
    • la « rafle des années 1960 ».

Ces injustices sont consignées dans :

  • le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996);
  • le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (2015).

Ces rapports documentent les conséquences de telles injustices, notamment :

  • l’isolement géographique,
  • le manque de mesures de soutien à l’établissement et de possibilités en ce sens,
  • la pauvreté,
  • un sentiment de désespoir et
  • des problèmes de santé.
« [Traduction] De nombreux peuples autochtones [portent] d’importants traumatismes découlant de la violence et de la maltraitance vécues à la maison, transmis par les parents et les membres de la famille qui ont survécu à l’époque des pensionnats. »
(Adams et Clarmont, 2016)

Le besoin de composer avec ces expériences traumatisantes passe souvent par l’utilisation d’opioïdes

De nouvelles preuves soutiennent l’idée qu’avant même leur naissance, les enfants sont affectés par leurs expositions aux traumatismes parentaux. Ces expositions peuvent entraîner une prédisposition à l’anxiété et à la dépression, deux signes prodromiques de l’utilisation d’opioïdes (Gottschalk et Domschke, 2017).

En plus de la colonisation, les épisodes traumatisants vécus par les parents comprennent :

  • l’esclavage,
  • le traumatisme du déplacement,
  • le génocide,
  • la guerre, le viol en tant qu’arme de guerre et
  • la famine.

Questions

Laquelle des sous-populations suivantes a été la plus touchée, et ce, de façon disproportionnée, par le projet de loi C-10 (Loi sur la sécurité des rues et des communautés)?


Vrai ou Faux : La crise des opioïdes actuelle, qui touche les peuples autochtones de façon disproportionnée, a ses racines dans le colonialisme.


Références

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